Depuis le mois de novembre, notre application Jang est en phase pilote auprès d’une douzaine de vendeurs de rue de Dakar. C’est l’occasion pour nous de revenir sur le processus de design, développement et lancement de cette application et de partager en toute transparence les réalités de ce projet qui a commencé il y a plus d’un an. Interview avec Ndèye Fatou Faye et Pierre Hervé-Berdys, les responsables du projet Jang :
Bonjour Fatou et Pierre ! Nakamu ? Alors c’est quoi Jang ? D’où est venue l’idée ?
L’idée nous est venue à la suite d’une étude qualitative sur les marchands de café, de crédit et de fruits menée l’année dernière afin de mieux connaître leur quotidien, leurs problèmes et leurs usages des technologies.
Il est ressorti de l’étude que les marchands étaient confrontés à de nombreux problèmes dont les principaux n’étaient PAS le manque de formalisation et de gestion financière mais plutôt :
- le manque de reconnaissance;
- l’ennui;
- le manque d’informations et de contenus dans leur langue;
- l’envie d’apprendre l’anglais;
- le manque de pouvoir de négociation.
Par ailleurs, au delà de ces besoins exprimés directement par les vendeurs, nos recherches montrent (et nous remettons cette hypothèse en question régulièrement) qu’ils ont du mal :
- à se projeter dans l’avenir et à être inspiré,
- et donc à apprendre de nouvelles compétences pour se développer.
Nous pensons aussi qu’un bon nombre d’entre eux ne veulent pas développer le business qu’ils ont actuellement, car ils le voit comme un job temporaire.
Après plusieurs sessions de brainstorming et de priorisation des idées, nous avons décidé de travailler sur une application permettant d’inspirer et de former les vendeur de rue : Jang était née.
Par où avez-vous commencé ?
Nous nous sommes inspirés de ce qui existait déjà dans les applications d’apprentissage et méthodes, pour voir ce qui marchait et ce qui ne marchait pas…En somme, apprendre des erreurs des autres pour éviter de les refaire. Nous avons fait un petit comparatif des solutions existantes, de leurs avantages et inconvénients, etc.
Nous avons ensuite essayé de structurer l’idée simplement, avec quelques premiers workflows et wireframes. Les workflows nous ont servis à placer les fonctionnalités majeures dans des parcours cohérents et les wireframes ont permis de visualiser l’agencement des différents éléments sur les écrans. Pour aller plus vite, nous ne nous sommes pas du tout attardés sur l’apparence (look & feel) dans un premier temps. Il fallait juste produire des premières idées quelque peu brouillon pour commencer et ensuite organiser et structurer le tout.
Une fois nos premiers wireframes faits via le logiciel de design d’interface Sketch, et mis sous forme de prototype cliquable avec Marvel, nous les avons testés auprès de quelques vendeurs de rue. Lors de ces tests, il est nécessaire alors d’être à côté du marchand pour expliquer ce qu’il se passerait dans la réalité. On fait ce qu’on appelle “faire le magicien”. L’application étant creuse (vide, le prototype n’est pas lié à une base de donnée), nous devons expliquer ce qu’il se passerait en réalité, ce qui peut paraître un peu frustrant parce que l’on offre presque rien à ce stade du projet. Résultat, on se sent tout petit et tout est encore un peu confus. Mais c’est à ce stade là que l’on apprend beaucoup de choses et que l’on commence à faire les premiers choix. Il est important d’aller tester son concept très tôt, parce qu’en restant chez soi à essayer de faire l’application parfaite on peut souvent passer à côté de plusieurs choses. Et il vaut mieux s’en rendre compte le plus tôt possible, plutôt que d’investir du temps et de l’argent, s’en rendre compte plus tard et devoir faire marche arrière.
Intéressant, et qu’est-ce que vous avez appris lors de ces tests ?
Entre ce que l’on voyait et ce que voyaient les marchands, il y avait une différence assez importante. On a remarqué que les marchands cliquaient un peu partout, même sur le texte. On s’est rendu compte qu’il fallait réellement simplifier notre interface en supprimant du texte et en ne laissant apparaître que quelques composants cliquables. Aussi, ils ne comprenaient pas bien le menu et les différents contenus, c‘est pourquoi nous avons ensuite ajouté une icône “aide audio” présente sur chaque page. Un autre aspect difficile à voir en restant dans un bureau : lorsque les marchands utilisent l’application, ils sont souvent en plein soleil et ainsi une partie de notre application était quasiment illisible parce qu’elle manquait de contraste !
Ces quelques améliorations faites, nous sommes repartis tester le nouveau prototype et avons constaté que le bouton de l’aide audio était vite reconnu par les marchands, c’était bien souvent le bouton sur lequel ils cliquaient en premier ! Et pas besoin de leur expliquer la fonctionnalité du bouton, ils imaginaient bien qu’un audio allait se lancer. Nous avons donc décidé d’utiliser ce bouton audio comme un composant principal dans l’application.
Et après ça, qu’avez-vous fait ?
Nous nous sommes penchés sur le design graphique de l’application (User Interface Design) : à quoi elle ressemblerait dans son style, couleurs, polices, illustrations, etc. Des écrans complets ont été réalisés mais nous savions que le design UI de notre application allait encore évoluer.
Enfin, nous avons compilé ces écrans et détaillé toutes les fonctionnalités dans un cahier des charges assez simple d’une dizaines de pages. L’objectif de ce document est de permettre aux développeurs de bien comprendre le fonctionnement de l’application et ainsi de faire des offres techniques et financières précises.
Les premiers écrans du onboarding de Jang
Comment avez-vous choisi les développeurs avec qui travailler ?
Ce n’est jamais simple mais le plus important est de partir avec des gens de confiance et très disponibles. A ce stade, vous ne savez même pas si votre application va marcher donc ne vous préoccupez pas trop des compétences techniques – avancez avec des personnes à l’écoute qui sauront faire évoluer leur codes (et leur budget) en fonction des avancées de votre application.
Comment s’est passé la collaboration avec les développeurs?
Très bien ! Un système de sprint avec un backlog a été mis en place pour prioriser les fonctionnalités et pages que les développeurs devaient créer en premier. Le backlog est constitué de plusieurs fonctionnalités simples que nous classons par ordre de priorité (majeur/mineur). Cela nous permet d’avoir un premier produit avec les fonctionnalités indispensables et de faire des tests réels rapidement.
Il est important de s’asseoir régulièrement avec les développeurs afin de suivre l’intégration du design (faites particulièrement attention à la taille des icônes !) et de répondre aux nouvelles questions qui sont soulevées durant le développement. Les principaux défis techniques que nous avons eu étaient liées au choix du mode de chargement du contenu (avec l’application dès le début / En Streaming en temps réel / téléchargé au fur et à mesure de l’usage de l’application) et au lecteur vidéo (Youtube ou hébergement sur nos serveurs).
Q : Comment s’est passé la création de contenu et quelles ont été les difficultés ? Quels résultats avez-vous ?
Le challenge était de créer un contenu très simple et facile à comprendre pour les marchands – et aussi à moindre coût pour nous pour cette phase pilote. Nous nous sommes d’abord rapprochés de certains d’entre eux qui, de par leur riche parcours, étaient susceptibles d’inspirer leurs confrères, et avons fait de interviews vidéo, en Français, Wolof et Pulaar. Nous avons également créé un mini cours d’anglais avec les phrases types à utiliser lors d’une vente. Nous sommes partis sur une série d’illustrations avec un fichier audio, disant le mot en Wolof, puis en anglais. Un autre module sur la relation client a été créé de la même manière.
Pour aller vite, nous avons décidé de ne pas faire appel à des prestataires audio et vidéo et avons tout fait nous même ! Constat : la création de contenu est un métier à part ! Il faut l’outsourcer si ce n’est pas la valeur ajoutée de votre entreprise. Cela vous permettra de gagner un temps précieux et de vous concentrer sur votre relation avec votre cible. Ainsi, nous avons par la suite tissé des partenariats avec quelques fournisseurs de contenu complémentaires (Radios, ONG, etc).
Comment s’est passé le lancement de l’application ? A-t-elle été bien adopté ?
Avec le prototype design de l’application, nous étions déjà partis sur le terrain voir les marchands pour recueillir leurs feedbacks. Ce premier contact a été très bénéfique car même si à ce stade l’application n’était pas fonctionnelle, l’idée a été bien accueillie par les marchands. La plupart avaient d’ailleurs participé à notre étude UX quelques mois plus tôt et étaient ravis de voir qu’il y avait une suite.
Quant à l’adoption, c’est la partie la plus difficile du processus de Jang. Nous avons, dans un premier temps, préparé une séance de formation en Relation Client et en Anglais. On a ainsi repris la liste des Marchands de notre base et appelé chacun d’entre eux pour les y convier en leur faisant part de ce qui a été fait depuis l’étude. Les convaincre n’a pas été facile et seulement une petite poignée d’entre eux sont venus. Nous avions espéré à partir de cette formation leur introduire à l’application et ensuite faire d’eux les ‘Ambassadeurs”/voix de Jang.
Nous avons donc mis en place une stratégie terrain basé sur plusieurs visites pour toucher au maximum notre cible et établir une relation de confiance avec eux. Un fois qu’ils s’accaparent de l’application, nous leur laissons le soin de la partager avec leur entourage à travers le bouche à oreille étant que leur communauté est assez soudée.
Nous avons également recruté une personne parlant Pulaar, car, même si la grande partie des vendeurs comprennent le Wolof, échanger dans leur langue natale sert a créé un véritable cadre de confiance.
Quelles sont les prochaines étapes pour Jang et les priorités pour les 3 mois à venir ?
Actuellement, nous sommes dans l’optique de faire connaître l’application aux vendeurs de rue afin de mieux les comprendre. C’est pour nous un projet de recherche perpétuel basé sur une application mobile. Etant donné qu’une application ne se doit pas d’être statique, il s’agira de faire de plus en plus de contenu et éviter que l’on s’en lasse rapidement. Pour le premier trimestre de 2018, nous espérons passer le cap des deux cents utilisateurs.
Enfin, si la première étude nous a permis de ressortir un certain nombre de personas (profil type), les multiples sorties sur le terrain nous en ont fait découvrir de nouveaux. Nous sommes donc en train de mettre à jour nos personas et de repenser aux fonctionnalités de Jang.
Le lancement de Jang nous a enfin permis d’identifier certains marchands particulièrement entreprenant avec qui nous aimerions tester d’autres concepts… A suivre
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